Le mensonge, est-il pathologique?
Le mensonge est la faculté de dissimuler ou de déformer volontairement un contenu de pensée ayant une valeur de vérité pour le sujet. Le mensonge est utilisé pour tromper l'autre et pour servir un intérêt consciemment recherché. Il s'adresse à une autre personne ou à soi-même, du fait d'un clivage du sujet lui-même.
Etymologiquement, mensonge vient du latin "mens" qui veut dire esprit, et de "songe", rêve. Le mensonge comme rêve de l'esprit...
Depuis notre plus tendre enfance, on nous répète qu'il n'est pas beau de mentir! Et pourtant, toute vérité est-elle bonne à dire ? Même Pinocchio est assisté d'un Jiminy Cricket qui l'enjoint à ne pas mentir... Il entend "la voix de sa conscience", même s'il ne l'écoute pas, même s'il agit contrairement à ce qu'elle lui dit. Mais pourquoi, cependant, ne l'écoute-t-il pas?
Un philosophe russe, Berdiaev, affirme : "C'est par le mensonge que l'homme croit se préserver du danger, et c'est sur le mensonge, et non sur la vérité, que s'édifie le règne du quotidien. Le monde objectivé est pénétré du mensonge d'un bout à l'autre. La vérité ne se révèle qu'à ceux qui sont sans peur. La connaissance de la vérité exige la victoire sur la peur, la vertu de l'intrépidité, du courage devant le danger."
L'homme refuse de voir la vérité par angoisse. Mais de quelle angoisse s'agit-il ? Comment y répondre ?
Les pensées psychanalytiques sur le mensonge font apparaître la dimension de l'inconscient. Le mensonge est le propre de la névrose.
Dans cette réflexion sur le mensonge, je ne parle pas de celui à caractère pervers ayant pour objectif l'utilisation de l'autre à des fins personnelles mais uniquement du mensonge à caractère névrotique.
La notion du mensonge à soi-même, implique que :
- d'une part, le sujet éprouve un désir ou une crainte intense et se trouve incapable d'accepter la réalité telle qu'elle se présente,
- d'autre part, sous la pression de ce désir, il hallucine une situation différente et compatible avec celui-ci,
- enfin, sous l'effet de ce même désir, il adhère, sans critique suffisante, à une représentation agréable.
Ce qui caractérise le mensonge à soi-même, c'est le premier et troisième trait. En effet, le refus de la réalité pénible est associé à une complaisance excessive à l'égard des imaginations agréables. Un des effets de la cure psychanalytiques est de rendre le sujet capable de supporter une certaine dose de frustration.
Les principaux motifs du mensonge à soi-même sont la négation de la faute, la négation du danger (en particulier, la mort) et la négation de l'infériorité.
Le mensonge, caractéristique de la névrose, est présent au quotidien et toutes les sociétés sont basées sur le mensonge. Aucune culture ou peuple au monde n'est préservé du mensonge. Mentir est une condition de notre survie sociale ; c'est une forme d'adaptation parfaite aux agressions de la vie.
Le mensonge à motivation inconsciente consiste à trouver, face à un danger, un compromis, une satisfaction substitutive par des voies détournées. Par le clivage du moi, le sujet trouve une réponse temporaire au conflit. Il s'agit d'une opération visant à se détourner de l'objet à caractère dangereux et à trouver une réponse temporaire au conflit entre le désir, d'origine pulsionnelle, et son interdiction.C'est par le refoulement névrotique que la réalité refusée sera remaniée. Le sujet peut ainsi gérer son angoisse face à la frustration.
En amont du mensonge, il y a la peur et le besoin de se protéger. Le mensonge à soi-même est au service du désir ; il vise à la satisfaction de celui-ci.
Les perspectives analytiques mettent l'accent sur la dimension du factice qui va de l'adaptation sociale à la pathologie de l'identité ou sur la duperie volontaire traduisant une frustration ou un amour refoulé.
Grâce à son imaginaire, aux fantasmes, le sujet peut faire face aux agressions de la vie. L'évolution normale de l'individu passe par le mensonge. La recherche de la vérité n'est possible qu'en fonction d'une certaine maturité.
Le psychanalyste n'est pas détenteur de la vérité ; il va amener, en toute humilité, son patient à retrouver progressivement le désir refoulé responsable de ses souffrances et de l'altération de son intégrité pour accéder à sa propre vérité. Il va pouvoir rejoindre le sujet, là où on n'a pas pu lui parler. La vérité, même si elle exige un renoncement aux illusions et au confort narcissique, est, selon Freud, une force : "La vérité la plus blessante finit toujours par être perçue et par s'imposer une fois que les intérêts qu'elle blesse et les émotions qu'elle soulève ont épuisé leur virulence." Pour cela, les interventions mais surtout, les interprétations de l'analyste, les constructions et reconstructions, l'analyse des résistances et la levée de l'amnésie vont permettre au patient de suivre, progressivement et à son rythme, le chemin menant à une individuation.
Refouler le mensonge, c'est ne plus vouloir être esclave de soi-même, de ses illusions et de ses manques. C'est un long travail permettant d'accéder à la liberté.
Petit conte philosophique, "Le livre et la clé" Le cercle des menteurs de J-C Carrière,
Court dialogue entre deux soufis :
- Je vendrai le livre de la vérité pour une centaine de pièces d'or, et certains hommes diront : ce n'est pas cher.
- Et moi, dit l'autre, je livrerai la clé qui permettra de le comprendre, et certains hommes n'en
voudront pas même si je la donne pour rien.
Béatrice ROBIN